Le père Pedro - Interview

Goto Madagascar Magazine : Vous êtes une grande figure médiatique, cela vous irrite-t-il que certains vous prennent pour une star ?
Père Pedro : Cela ne m’irrite pas que les médias viennent ici répercuter notre lutte contre la misère humaine, et témoigner qu’on peut vaincre la pauvreté, pas avec de beaux discours, mais par l’action. Je ne suis en fait que la face visible de l’iceberg, avec moi il y a 400 collaborateurs, tous malgaches. Ici nous avons arraché des milliers d’enfants et leurs familles de la décharge. Quand la presse voit cela elle vient avec respect, et nous la recevons toujours avec respect.

GMM : Quand vous êtes arrivé à Madagascar vous étiez un missionnaire envoyé par votre congrégation. Depuis, on a l’impression que votre combat est devenu une cause personnelle ?
P.P : Je suis toujours missionnaire. Je ne suis pas devenu prêtre pour être fonctionnaire, mais pour être près des hommes, guérir les pauvres de cette maladie qu’est le désespoir. Beaucoup sont venus ici en disant « resy izahay » (nous sommes vaincus). Je leur ai répondu « si vous êtes vaincus, il n’y a pas de place pour vous ici. Mais si vous voulez travailler, vous êtes les bienvenus ». Sur ce site d’Andralanitra qui était une décharge, je lis et comprends l’Evangile autrement que dans une maison où il ne manque rien. Bien sûr, je suis allé un peu plus loin dans l’engagement, mais avec la bénédiction de mes supérieurs qui au début étaient un peu sceptiques...

GMM : Votre Association Akamasoa est implantée sur d’autres sites ?
P.P : On a commencé à Manantenasoa là haut sur les collines où il y a aujourd’hui plusieurs quartiers comme Mahatsinjo, Mangarivotra, ou encore Tsaramasoandro. Nous sommes aussi du côté d’Ambohimangakely, près de Betsizaraina. A 60 km au Nord de Tana sur la route de Majunga, Antolojanahary est un village écologique. Nos 1.400 enfants qui y vivent plantent entre 20.000 et 30.000 arbres par an loin des télés et des photographes. Nous travaillons enfin aussi dans la
brousse du côté d’ Alakamisy Ambohimaha et Vangaindrano.

GMM : Les colères du Père Pedro sont légendaires ! Est-ce un sentiment d’impuissance, ou une révolte contre l’indifférence ?
P.P : Un peu de tout cela ! Comment tolérer que des enfants se meurent ou se perdent physiquement, spirituellement ou moralement ? Face à l’indifférence on crie, ça a au moins le mérite de réveiller certains. Mais il n’y a pas que la colère, car les gens ne me suivraient alors plus...
GMM : D’après les chiffres d’il y a quelques années, le tourisme génère 1,6 milliards de voyages. Que cela vous inspire-t-il ?

P.P : Voyager c’est beau, c’est réaliser un rêve. A ceux qui viennent pour découvrir le pays, s’enrichir au contact d’une autre civilisation, je dis très sincèrement Bienvenue ! Mais il y a aussi ceux dont l’idée inavouée est de « s’éclater » comme ils disent, d’une manière que je qualifierais de criminelle.
Dans certaines régions l’argent est aujourd’hui devenu « facile » par une interprétation perverse du tourisme et de l’implantation de grandes industries. Il faut attaquer ces problèmes et apporter de vraies solutions, car il n’y a rien de plus sacré pour un pays que sa jeunesse.

GMM : Après la vague de l’écotourisme, il y a d’autres tendances montantes comme le tourisme solidaire ?

P.P : Vous savez, beaucoup de touristes passent à Akamasoa, ils sont même quelques milliers par an et j’aimerais bien que ce qu’ils me rapportent, ils le disent aussi à d’autres ! Croyez-moi, ils ne voient pas « que » les lémuriens et les baobabs, ils voient l’exclusion, la pauvreté. Mais fort heureusement aussi ils voient la richesse humaine de Madagascar, la vitalité de son peuple, et ils se disent que ce pays a un avenir.
A Akamasoa nous n’avons jamais tenu de discours misérabiliste, nous avons toujours prêché le courage, la dignité. Celle des femmes qui vont fièrement inscrire leurs enfants à l’école avec « leur » argent. Bien sûr on ne leur demande qu’un euro pour toute l’année dans le primaire, pour qu’elles sachent que l’éducation a une valeur.

GMM : Père Pedro, qu’y a-t-il donc entre Madagascar et vous, une histoire d’amour ?

P.P : Bien sûr, autrement ma mission se serait peut-être déjà poursuivie ailleurs ! J’aime ce pays, les gens, la bonté naturelle des enfants, des paysans...
Mais je vois aussi comment la vie peut les détruire. C’est pour cela qu’a été créé ce projet, avec les malgaches car c’est leur pays et ils doivent être en première ligne. Pour que l’amour dont vous parlez ne soit pas que des mots, mais une réalité. Interview tirée de : www.go2mada.com